DELTA - Johan Bernard - 08.04.16 / 28.04.16
Quatrième lettre de l’alphabet grec, symbole mathématique – ∆ – signifiant l’écart entre deux grandeurs, Delta est aussi, communément, la formation hydrologique produite à l’embouchure d’un fleuve. Comme une évidence, le mot donne ici son titre à l’exposition de Johann Bernard pour évoquer tant la géométrie que la géographie, à la fois concrétion et déploiement des préoccupations de l’artiste, nouvelle étape au coeur de sa démarche baladeuse de paysagiste de l’imaginaire quotidien.
Depuis l’atelier, en des instants de latence ou de désœuvrement volontaire, Johann Bernard entreprend des migrations fantasmées via Google Earth, décèle des territoires inexplorés dans la moisissure d’une cuisine ou invente des reliefs prometteurs dans les macules d’un collègue peintre peu soigneux. De ces heureux accidents domestiques il déduit un titre – « L’archipel de l’évier » ou « L’entre-deux tréteaux », une verbalisation indispensable avant d’envisager concrètement l’expédition dessinée. Le dessin, son outil- jouet de prédilection, lui permet alors d’échafauder ses voyages vers des « lieux autres » libérés des contraintes tangibles de l’espace physique, de s’affranchir de l’apesanteur et de la perspective, de dilater à loisir l’espace et le temps pour atteindre, à force de répétitions déterminées par un protocole ludique dont lui seul maitrise les éventuelles règles, l’accueillante vallée ou le sinueux affluent qu’il nous invite à parcourir à nouveau.
Cette sollicitation faite au spectateur, cette incitation à évoluer à son tour dans le site ainsi révélé se manifeste d’autant plus ici que le dessin s’extirpe du plan pour se déployer en volume dans l’espace de la galerie. Et ici encore, cette modélisation en 3D trouve son origine dans un instant anodin et familier, dans la révélation apéritive d’une forme conique apparaissant subitement primordiale. Cette trouvaille à la provenance improbable qui devient prétexte à l’action créatrice, si elle nous renvoie à l’expérience vécue par le personnage joué par Richard Dreyfuss dans le film « Rencontres du troisième type » – pour qui tout devient matière (la peinture comme la purée) à reproduire le mystérieux monticule qui l’obnubile malgré lui, doit s’éprouver plus clairement ici comme une volonté affichée de l’artiste de dévoiler le potentiel transcendant contenu dans le domestique dérisoire. Par la profusion et l’apparente disposition aléatoire, un simple biscuit apéritif devient l’élément générateur d’un paysage fantastique, d’un espace intermédiaire dont il nous est laissé libre de le définir comme le plateau d’un jeu de rôle ou comme la maquette d’un autre monde à arpenter.
Arnaud Coutellec