PETIT BAIN - Coraline Guilbeau - Performance du 07.12.16

 

PETIT BAIN
performance : Coraline Guilbeau conception sonore : Lucas Furtado

"Le presque rien reste

C'est mercredi, j'ai deux possibilités. Partir ou être là jusqu'à 22h. L'heure prévue par Coraline Guilbeau pour le début de la performance «Petit Pain» qu'elle propose à 5UN7 ce soir. Nous sommes plusieurs à avoir été patients, la galerie est remplie aux deux-tiers.

Je suis tout devant, assise au sol, je vois la scène de près, en diagonale. J'entends la musique. Je suis attentive aux presque gestes de l'actrice. Il y a dans ses yeux quelque chose de furieux. Le reste fait semblant. C'est une suite de petites déceptions, d'expériences inassouvies, pourtant elle m'a eu.

Le volume est rempli par ses silences et ses ponctuations. Elle provoque l'attention, elle est l'image que l'on regarde, dont on attend une révélation. J'attends, avant, j'attends après la performance. Pendant, je suis abstraite, distraite du présent, je regarde une lumière pas si grandiose, elle éclaire un objet qui n'arrive pas. La robe contre le corps tremble, des mots sont avalés sans prononciation, les phrases sont absentes, le langage est comme à ses débuts, inarticulé, il ne signifie qu’incompréhensions, différences et peurs. Il est cassé, les idées ne trouvent pas leur place, le vocabulaire est piégé à l'intérieur du corps, incapable de dire, il s'exprime en souffle, il a perdu la grille de la parole. L'attente se répand, bouillante et se transfuse sans mots à l'ensemble de l'auditoire. On vit une petite mort ; on attend, apeuré, dénudé, éprouvé, seul et simple regardeur. Je suis inquiète, je n'arrive pas à être au repos. L'inquiétude de l’attente m'oblige a chercher ma place, à l'instant même. J'ai peur d’assister à son échec , à l'instant même. La performance est presque terminée, le moment est moyen, il n'y a pas eu de levé, il n'y a pas eu de couché, l'attente est presque dénouée et l'instabilité qui prend sa place est une réussite.

L'image n'a plus d'importance, il y a eu l'attente, la provocation et le rien. Les angoisses qui tirent nos traits, les mimiques de notre face, notre corps qui éructe et déglutit, c'est notre langage. Il est toujours dans le présent alors que les mots sont au futur, ils arrivent après, ils prononcent alors que tout a déjà été dit. Son histoire est un prétexte. Elle la récite dans le protocole, le synopsis n'est pas le sujet, il est une surface, un support.
Les gens et les objets ont une image. Je donne au présent un temps plus long. L'autre a continué et moi je suis restée à l'instant long du présent. Tous les présents sont vécus à des instants différents et à des longueurs propres à chaque acteur. Je peux ralentir et tu peux accélérer, le temps normé de l'instant est défini en moyenne par rapport au jour. Lorsque les jours s'entremêlement, que les distances nous font perdre les heures de la nuit, l'instant est tout à fait libre et enchaîné. Le présent est multiple, s’émancipe dans une suite rapide de calcul surhumain ou dans la sensitivité de ceux qui écoutent et entende encore leur corps et le reste.

L'acte performatif de Coraline montre ce présent long, elle nous force et nous maintient dans l'instant par son regard, sa salive et compose un langage avorté, soutenu par le décor d'une image moyenne. C'est ce qui fait vaciller, ne pas savoir, se rendre compte que la référence, à l'époque du moment émerge dans le moyen. »

Anaïs Garcia